12.2.05

Leïla et Noëlle vont aux Assises

Je vais me permettre de sortir un peu de la ligne éditoriale (!) de ce blog pour parler, non pas d'un livre, d'une pièce de théâtre ou d'un film, mais d'une réunion à laquelle j'ai participé jeudi (le 10 février 2005) et qui s'intitulait Assises régionales de la culture en Ile-de-France. On reste néanmoins dans la culture, ne partez pas !
   Je n'ai pas l'ambition de faire ici un compte-rendu des 3 tables rondes qui se sont déroulées de 9h30 à 19h. Je dirais seulement que ce fut pour moi un moment très intéressant et très riche, notamment par la diversité des intervenants et des expériences dont ils rendaient compte, par l'écoute qui globalement prévalait, et par la vitalité du débat, les espoirs des uns n'étant pas, fort heureusement, balayés par le souci de réalisme des autres.

Une intervenante à l'issue des débats faisait part à la salle de sa tristesse mais il me semble que ce n'était pas un avis largement partagé et que pour une fois les excès de langue de bois ont été évités. Non, plutôt qu'un résumé, je vais essayer de vous parler de deux femmes qui m'ont frappé, mais d'une façon très différente l'une de l'autre.

La première est Leïla Cukierman, elle est directrice du Théâtre d'Ivry. C'est elle qui porte ses lunettes tout au bout de son nez et cela lui donne irresistiblement un air de chat. C'est la première fois que je la voyais ou l'écoutais et je suis tombé sous le charme. Ce n'est pas son look de chat qui m'a fait cet effet, même s'il est vrai que son apparence assez singulière comptait aussi ;-). Mais c'est ce qu'elle exprimait et la façon dont elle le disait qui m'ont impressionné. Il y a eu tellement d'intervenants que je ne saurais me rappeller avec précision tout le contenu de son message mais elle plaidait pour la rencontre des cultures et, plus précisément, des imaginaires. Elle disait que les gens avaient certes besoin d'identité, de repères ancrés dans leur tradition mais que cela n'était pas suffisant. Il fallait aller rencontrer les cultures des autres et je crois bien qu'elle parlait d'un "imaginaire pluriel". Et on sentait que ce n'était pas que des mots et que son théâtre tenait sa place dans ces nécessaires rencontres et qu'il fallait développer ces lieux de rencontres. Bien-sûr, en tant que co-auteur de ce blog franco-allemand, issu d'une rencontre via le bookcrossing, cette Internationale des dealers de littérature, je ne peux qu'applaudir des 2 mains et des 2 pieds ! Elle parlait aussi de la relation de l'art et du citoyen. Elle parlait (je l'ai noté) du doute et du bouleversement que l'art pouvait, devait même, provoquer et qui était une prémisse à la remise en cause de la société. Ce résumé ne rend pas complètement justice à ce qu'elle a si bien dit, d'autant que sa façon de parler, doucement mais avec conviction, avec ses propres mots et pourtant compréhensibles par tous, avec son coeur mais aussi avec son expérience de terrain, était à l'unisson de son discours et lui confèrait encore plus de poids. C'était un moment de grâce dans cette journée, en tout cas c'est ainsi que je l'ai ressenti. Merci, Madame.

Je n'ai pas le même éloge à adresser à Mme Noëlle Châtelet, écrivain, qui parlait au nom de la Société des Gens de Lettres dont elle est vice-présidente. Loin s'en faut. Cette personne, qui est une figure de la scène littéraire française, souvent invitée sur les plateaux de télévision, a fait preuve d'un autisme assez hallucinant. Au mépris de toutes les autres personnes qui attendaient leur tour de parole, elle a accaparé le micro pendant un temps d'autant plus disproportionné que son discours était insipide et ne répetait qu'une seule incantation "les écrivains, les écrivains, soutenez les écrivains, soutenez-les puisque ... ce sont des écrivains."  
La salle exaspérée par ce creux discours qui s'éternisait, manifesta son agacement. La dame ne voulu pas entendre l'avertissement. Elle continua de plus belle, reprenant la parole alors que ce n'était plus son tour, pour un discours encore un peu plus vide de sens et cette fois s'attirant les sifflets et les protestations de la salle. On sentit la dame vexée, elle finit par se taire au bout d'un moment. Ouf. On avait cru un moment que la culture risquait se faire Châteletiser. La salle avait montré qu'on ne lui amputerait pas son temps de parole impunément. Et surtout, surtout, qu'elle n'avait pas envie qu'on lui serve la messe. Olé!

3 Commentaires:

Blogger andras a dit...

Merci pour ton commentaire, lesezeichen. Oui, l'attitude de Noëlle Châtelet était stupéfiante, car on voyait que, à aucun moment, elle n'envisageait qu'il pouvait y avoir des bonnes raisons à cette bronca de la salle. C'est ce sentiment d'avoir forcément raison qui m'a choqué et qui désormais, je le sais, va m'éloigner de son oeuvre. Mais lesezeichen, je sais aussi que tu as une redoutable influence sur moi ... donc je ne suis pas encore un lecteur définitivement perdu pour cette écrivain au physique de sphinge.

6:54 PM  
Blogger andras a dit...

merci de ta visite, graindesel ! Tu pointes ici une des limites de ce blog : il est difficile de parler de certaines choses sur le mode des "brèves" comme on dit en journalisme. Je n'ai même pas rappelé quel était l'objectif de ces Assises. En deux mots, il s'agissait de soumettre au débat public la politique culturelle de la Région Ile-de-France. La plupart des intervenants venait, soit témoigner de leur activité (artistes, libraires, directeurs de centres, etc.) et des difficultés qu'ils rencontraient, soit réclamer "des sous" sur un mode plus corporatiste, comme l'a fait de façon caricaturale Noëlle Châtelet. J'ai voulu mettre en exergue l'attitude différente (pas unique toutefois) de Leïla Cukierman qui a voulu élever le débat et essayer d'indiquer une ou deux choses qui lui paraissaient essentielles dans une politique publique de la culture. La construction d'un "imaginaire pluriel" en faisait partie. Je ne voudrais pas déformer son propos mais je crois qu'il s'agissait de confronter (sur un mode pacifique bien-sûr) les différentes cultures qui existaient en Ile-de-France afin qu'émerge quelque chose qui les dépasse, qui les transcende. En ce sens, elle veut sans doute s'opposer au mouvement communautariste qui se développe en France et dont le slogan est "chacun chez soi". Ce mouvement n'est hélas plus cantoné aux franges les plus extrêmes (intégristes catholiques, juifs ou musulmans) mais progresse dans des franges moins radicales de la population française. Je pense comme elle que le repli sur sa communauté n'est pas la meilleure façon de préparer le monde de demain.
J'espère avoir pu t'apporter un peu plus de lumière sur la brève intervention Leïla Cukierman, brève mais belle et forte.

7:25 PM  
Blogger Lancelot a dit...

Ca change de ton style que j'ai lu jusqu'ici. J'aime bien ton sens critique et de l'observation. Profileur toi aussi !

10:36 AM  

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